Pourquoi devons-nous boire du vin ?

Dry January,…ça sonne très peu français non ? Et oui, parce que c’est anglais, et pourtant, croyez-le ou non, en France, c’est le défi qu’en janvier nous voyons les fêtards de la veille se donner. Manquent-t-ils d’inspiration pour de nouveaux jeux à lancer, ou ont-ils perdu le goût du libre arbitre ?

À première vue, on pourrait croire à de sincères préoccupations quant sa santé. N’est-ce pas là ce qu’on préconise aux drogués, le sevrage ? Mais voilà ce qui sonne faux. Quel défi s’est-on donné avec le Dry January ? Défi de celui qui tiendra la privation ? À celui qui résiste, qui patient, attend la fin du mois pour se remettre le gosier à l’envers on dira « Bravo ! » Bravo à quoi ? A-t-il vaincu l’alcoolisme ? Et est-ce bien l’objet d’un tel défi ? Soyons sérieux, l’alcoolique ne joue pas au Dry January... Alors bravo à quoi ? Parce que glorieux,  le challengé n’a pas cédé à lui-même, qu‘il a gardé le contrôle ? Lancer des challenges, responsabiliser les joueurs, et vous avez des acteurs autonomes qui exercent sur eux-mêmes, volontaires et gaies, la prohibition.  Le joueur du Dry January s’est en fait pris les pieds dans un méli-mélo conceptuel. Il prône la modération, parente de sa santé, pourtant n’est-il pas le versant direct et tout aussi extrême que l’alcoolique ? La privation n’est  pas une modération, c’est une exagération. Que prône le sobre ? La mesure. Et quel abus de langage de parler de sobriété lorsqu’on désigne en fait, non pas le bon degré, mais le défaut total de ce degré d’alcool. Quelle mesure a la prohibition sinon celle de l’excès, de sa propre dé-mesure ? Le Dry January ressemble davantage au pendant de l’hubris fêtard. Il en est son inverse proportionnel. Abandon à la tyrannie dans l’un et l’autre cas, tyrannie de la substance lorsqu’elle n’est plus qu’un moyen pour d’autres fins que le plaisir qu’elle fait éprouver, tyrannie de l’abstinence lorsque insidieuse, elle n’est qu’un autre mode de soumission par le biais du consommable. Le Dry January est une sorte de défi finaliste, espérant le bien-être dans la suppression du plaisir, ou objecterons-nous, dans sa reconduction, laissant pourrir l’idée que le bien-être n’est rien d’autre qu’un bien-vivre.

Ainsi, que dire encore à ceux qui sont assurés de jouer pour leur santé ? Qu’ils jouent avec leur santé ? A minima qu’ils ne la trouveront pas au fond d’un verre vide, moins encore dans un Coca Light, et certainement pas dans le geste qui refuse de sortir par crainte de céder à soi-même.

 

Avant même que le Dry January n’existe, Raymond Brunet, auteur parmi d’autres sur le vin, mais défiant sans gêne nos contemporains par sa pertinence et l’acuité de ses propos, manifestait déjà l’absurde de la prohibition. Maintenant que dire, que faire lorsqu’elle se déguise sous les airs d’une mesure pour la santé publique ? Est-ce bien cela, prendre soin de sa santé ? Il semble qu’on ait tronqué les véritables fins du défi.

 

C.J

 

Pourquoi devons-nous boire du vin ?

 

« Aux États-Unis, la lutte s’intensifie tous les jours entre les partisans du régime sec qui prohibent les boissons fermentées, et ceux du régime humide. Les uns et les autres font intervenir des arguments, des statistiques. etc., et il faut reconnaitre que les prohibitionnistes perdent du terrain tous les jours, par la simple raison qu’ils défendent une mauvaise cause.

Les intellectuels eux-mêmes participent à la bataille et les plus nombreux d’entre eux se sont montrés partisans de la réforme de la loi de prohibition en « Dry System ».

Le savant américain Pearl, de l’Université John Hopkins, a observé que les hommes et les femmes qui font un usage modéré du vin depuis leur vingtième année, vivent en moyenne trois ans de plus que ceux qui ne boivent que de l’eau.

D’autre part, il a remarqué que ceux qui ne peuvent faire usage du vin, ont tendance à rechercher l’assoupissement de leurs douleurs, de leurs ennuis ou de leurs chagrins par l’absorption de produits nocifs ou toxiques. Il en est de même de ceux qui veulent se créer une distraction dans leur vie « mécanisée » qui est si monotone. C’est ainsi que la prohibition a établi la toxicomanie, laquelle a elle-même engendré le vice et le crime. Et ce sont des scientifiques indépendants qui nous le font savoir.

D’autre part, il faut reconnaître que le régime sec n’a apporté aucune amélioration dans la vie des gens sobres qui ont l’habitude de ne faire aucun abus, parce que ceux-ci n’avaient nul besoin de modifier leurs moyens d’existence. Mais il a empiré considérablement l’état physiologique des personnes qui ne savent pas se conduire et les a jetées dans la maladie, le désordre et la folie, en les forçant à boire, en fraude, des produits dangereux, faute de mieux.

Les statistiques de l’année fiscale 1925-1926 aux États-Unis, nous révèlent que les agents officiels ont confisqué 27.500.000 gallons de boissons « intoxicantes » et ont fait fermer 12.227 distilleries clandestines.

Il a été saisi 5.935 automobiles se livrant à la contrebande. Quant aux navires de la flotte prohibitionniste, ils ont procédé à 72.000 prises. Le montant total de la valeur des marchandises que les contrebandiers ont dû abandonner entre les mains des agents de la prohibition, est évalué à plus de 13 millions de dollars. Doux Pays !

Enfin, beaucoup de régions des États-Unis sont très froides et nécessitent l’absorption régulière de boissons fermentées à doses modérées, d’après les savants américains, pour procurer le calorique nécessaire à l’organisme et stimuler les fonctions névro-musculaires. En interdisant la consommation des boissons alcooliques, on a incité les habitants de ces contrées à boire des alcools de contrebande, mal fabriqués et de mauvaise constitution.

Tous ces faits démontrent, d’une façon vécue, pourquoi il faut consommer du vin pour se bien porter et même pour vivre longtemps.

Il est inconcevable que les gouvernants des États-Unis, passant outre aux avis judicieux fournis par les savants de ce pays, s’entêtent à maintenir une prohibition qui compromet la santé publique. En interdisant toutes les boissons alcooliques, comme ils le font, pour supprimer l’alcoolisme, il est démontré qu’ils ont crée des maux beaucoup plus considérables et qu’ils ont précipité les consommateurs dans l’absorption de boissons innommables.

Quand donc les Américains montreront-ils plus de bon sens et surtout plus d’amitié pour les produits vinicoles de nos vignerons et de nos commerçants qui ont gagné la grande guerre, ce dont ils n’ont certes pas à se plaindre. »

 

Raymond BRUNET, dans Sa Majesté le Vin de France, Pourquoi devons-nous boire du vin, p.129-131, 1929